-Tu es un auteur qui maîtrise plusieurs genres littéraires ; poésie, théâtre, roman, jeunesse… Quand une idée d’œuvre te vient en tête, comment sais-tu par quel medium tu vas l’exprimer? Par exemple, comment savais-tu, pour Nancy croit qu’on lui prépare une fête et La sueur des airs climatisés, qu’il allait s’agir de recueils de poésie et non pas de romans ou de pièces de théâtre?
Il y a une grande part d’instinct dans mon écriture. Le médium est rarement choisi de manière irréversible aux balbutiements d’un projet. Il m’est arrivé de commencer une pièce de théâtre et d’aboutir à un roman. De la même manière, des suites poétiques se sont avérées des monologues de théâtre. J’ai de la difficulté à délimiter rigoureusement les genres. Pour moi, les contours sont flous et perméables. Les médiums peuvent se contaminer. Je suis un peu l’antithèse d’un puriste, en fait.
-Tu mets souvent un ou des personnages très variés, colorés et bien campés au centre de tes œuvres ; c’est certainement le cas dans Nancy croit qu’on lui prépare une fête. Comment prends-tu l’inspiration pour créer ces personnages si complexes, si humains, si touchants? Comment est-ce que Nancy t’est venue en tête, par exemple?
Je suis un témoin de mon époque, mais encore plus de mon humanité. J’aime observer l’humain, dans l’amplitude de ses contradictions. J’embrasse autant sa grâce que sa laideur. Je m’attarde à son unicité, ses phobies, ses désirs, à tout ce qui est saugrenu, mais vibrant, vivant. Et plus que tout, j’aime éclairer par l’écriture la solitude de mes personnages. C’est toujours une solitude qui donne et qui enlève à la fois. Elle offre de l’élan, mais paradoxalement, pousse souvent mes antihéros – je ne crois pas aux héros, je les trouve louches, et peu crédibles – dans leurs retranchements.
Pour Nancy, il me revenait perpétuellement en tête cette gamine ayant peur de mourir, multipliant ses testaments sur des feuilles mobiles. Je l’imaginais cacher ses testaments faits maison dans les calorifères de sa chambre. J’imaginais la maison brûler au premier gel, au moment où l’on actionne le chauffage. Et cette Nancy, ironie du sort, être l’unique survivante de cette maisonnée.
Je voulais la voir grandir avec ce poids, la voir se dépatouiller, maintenant adulte, avec un héritage en forme de patate chaude.
Je n’ai rien vécu de ça. Et pourtant, Nancy, c’est moi.
-Pourquoi avoir choisi de rassembler ces deux recueils en particulier en une seule édition?
C’est la décision de mes éditeurs. Mais j’applaudis, car il y a des échos considérables. Ils ont été écrits de manière rapprochée dans le temps. Ils sont aussi rapprochés au niveau stylistique, et même émotif. Puis l’idée de briller, de flamboyer à prix modique, ça revient d’un recueil à l’autre.
Dans les deux cas, on aboutit dans les rayons de l’Armée du Salut pour y débusquer des costumes à la féérie défraichie.
-Il y a une utilisation très marquée (et habile et efficace!) de l’humour dans les deux recueils de Nous sommes phosphorescents. Est-ce que c’est quelque chose qui surgit toujours dans ton écriture, ou est-ce que c’était un travail conscient dans ces deux recueils?
L’humour accidentel fait partie de ma vie et de mon écriture. Par essence, je ne suis pas quelqu’un de drôle. Il m’arrive de l’être, mais c’est surtout par accident. Un peu comme mes personnages, d’ailleurs, souvent doués en lapsus.
J’aime faire cohabiter les petits désarrois et le ludisme ordinaire, ce qu’offre constamment la vie. Les deux m’apparaissent finement tressés. C’est pourquoi, si on ne se tape pas sur les cuisses en me lisant ou si on ne braille pas sa vie non plus, j’ai le sentiment que lire mes mots éveillent des sourires tristes. Et cette idée me plaît. J’adore ça, un sourire un peu cassé.
-Tu es aussi un auteur extrêmement prolifique ; à quoi ressemble ton processus d’écriture? As-tu des rituels, des méthodes particulières? Est-ce que c’est une discipline à laquelle tu dois t’astreindre, ou est-ce que ça te vient naturellement?
Depuis que je fais abondamment des conférences dans les écoles, que je fais des chroniques à la radio ou que j’écris régulièrement pour la télé, je n’ai plus de rituel. Mon temps d’écriture – alloué à la littérature – fond comme peau de chagrin. Alors la seule discipline qui tient, présentement, c’est écrire dès que j’ai l’énergie requise.
Mais j’ai un atout redoutable : quand je m’attèle, l’écriture jaillit. Je manque souvent de temps, oui, mais rarement d’idée, et encore moins d’élan.
-Quels sont tes auteur(e)s préféré(e)s, voire des citations qui t’habitent?
Les deux que je nomme le plus souvent : Violette Leduc pour sa pulsion de tout révéler d’elle, le beau comme le laid, et Michael Delisle pour sa poésie qui élève la langue québécoise en orfèvrerie.
Les auteurs que je cite le plus sont assurément Jean Cocteau et Michel Tournier. Je suis en amour avec le pétillement de leur esprit.
-Est-ce qu’il y a un ou des poètes qui t’inspirent particulièrement et que tu aimerais nous faire connaître?
Je viens de lire Mont de rien de Maxime Catellier, un roman versifié qui s’avère une épopée de l’enfance, et j’ai été soufflé par la langue et par l’amour qui s’y trouve à chaque page. Un gros coup de cœur!
Sinon, j’ai lu récemment le premier recueil de poésie de Charles Quimper, Tout explose, sur la mort du père notamment, et ça m’a beaucoup plu.
Quant à Catherine Lalonde et à sa Dévoration des fées, sa langue bâtarde et raboteuse me charme encore, un an et demi plus tard.
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