Comment as-tu eu l’idée d’écrire elle des chambres, quelle est sa génèse ?
Dur de nommer ce qui a déclanché entièrement l’écriture. D’habitude les textes m’avalent, je pars sur une obsession, un objet, un nom, et je file, un peu à tâton. Elle des chambres, c’est parti, si on veut, d’une idée. Je voulais écrire depuis longtemps un livre sur le viol. Sur le corps qu’il nous laisse. Il y a des passages dans Chasse aux corneilles et dans Amélia qui abordent un rapport malsain avec la sexualité. Mais je rôde, je tourne autour, je n’y plonge pas. Le sexe y fait parti d’un tas de petites misères. Je voulais arrêter de tourner en rond, je voulais y aller entièrement, et c’est un sujet tellement vaste que j’aurais pu écrire encore longtemps, récolter des images en veux-tu-en-voilà dans des oeuvres, des paroles de femmes, des incompréhensions, mes maudites petites affaires à moi et tout ce qui nous donne la preuve que la culture du viol est loin d’être effacée.
Dans elle des chambres, tu as abordé des thèmes très difficile, dont le viol et l’inceste. Est-ce qu’il a été difficile pour toi de traverser les tabous liés à ces thèmes dans ton écriture ?
Oui. Et non. C’est difficile de donner une réponse fixe. Ma confiance n’est pas statique. Souvent j’ai très peur. En même temps, je ne me sens pas seule patoute.
Ce que je veux dire, c’est que je ne pense pas que ce soit surprenant de parler de viol. Quand on sait qu’une femme sur trois à été agressée depuis l’âge de 16 ans. C’est immense. Si j’ai pu écrire sur le viol et l’inceste, c’est parce que j’ai la tête qui déborde de toutes ces voix qui résonnent depuis des automnes.
C’est pas surprenant, parler de viol.
Moi, je suis étonnée quand on me dit qu’on l’a jamais vécu. Je m’haïs d’être étonnée, mais c’est ça pareil. Puis les livres qui abordent ce sujet sont nombreux. Ce qui est étonnant et violent, c’est qu’on considère que c’est un problème unique. Les violences sexuelles, c’est un problème de société.
La force du nombre aide à parler, parfois. Pis la force de la colère, aussi. Ma colère est inépuisable devant ce qu’on fait subir au corps et à l’intégrité des femmes – et dans le cas des violences sexuelles, des hommes, aussi. Je me dis : il faut surpasser les tabous pour que ça avance.
As-tu un procesus d’écriture particulier par exemple des préférences dans la méthode l’endroit ou le moment pour écrire
Je note ce qui me passe par la tête sur les papiers qui me tombent sous les mains, quand ça adonne. Ça adonne pas souvent : je peux être longtemps sans écrire. Mais jamais longtemps sans un texte qui se transforme à l’intérieur, qui se pense tranquillement. Oh, mais pour Elle des chambres, à un moment, j’ai essayé de me dompter à écrire un journal, à rassembler mes papiers épars dans un même carnet. J’avais en tête un espèce de journal du sexe où je rassemblais citations d’auteur.e.s, souvenirs, conversations, impressions. Décrire avec le plus de précision possible des sensations du corps : déplier une jambe, étirer les bras, arracher un poil. J’ai tenu plusieurs mois jusqu’à ce que ma propre discipline vienne qu’à manquer. Pour écrire les premières ébauches du texte, il me faut une grande solitude. En général, chez moi. Mes objets autour que j’accumule comme une pie pour son nid. Ça se passe rarement dans le silence. J’écoute de la musique. Parfois la même chanson en boucle pendant des heures. Ça me place dans une sorte de transe que j’aime bien. Je fais du découpage, je grapille des morceaux ici et là, je place ce que je crois être les bons bouts ensemble. Et je réécris, réécris, réécris peu importe le lieu où je me trouve, préférablement en dehors de chez moi – l’écriture, c’est du travail !
Quels sont tes auteur.e.s préféré.e.s, voir des citations qui t’habitent ?
La citation qui m’a habitée tout le long de l’écriture de Elle des chambres : « Il y a ceci dans la honte : l’impression que tout maintenant peut vous arriver, qu’il n’y aura jamais d’arrêt, qu’à la honte il faut plus de honte encore. » (Annie Ernaux, La honte). La démarche d’Annie Ernaux m’intéresse énormément. Le tissage du récit avec l’écriture qui se regarde faire. J’aime sa justesse, ses failles visibles, la clarté de son but, sa conquête du souvenir sans jugement. C’est une observatrice incroyable.
Puis, Lolita, de Vladimir Nabokov est un roman qui m’a traversée en simonaque. Découvert à l’adolescence. J’y suis retournée plusieurs fois. J’y retourne encore.
Pêle-mêle : l’engagement social et la franchise d’Édouard Louis, la violence impitoyable des romans de William Faulkner, la fulgurante dureté de l’enfance chez Anne Hébert, tout de Catherine Lalonde, tout de Nelly Arcan, tout parce qu’elle a raison,
Et cette citation de Louise Dupré : « on ne se débarrasse pas si facilement d’une enfance. Elle revient sournoisement, au moindre sursaut du paysage, elle s’infiltre sous les paupières, elle nous fait tressaillir et on se demande si quelque chose ne pourrait pas être réparé. »
À part l’écriture et la littérature, quels sont tes intérêts, occupations?
J’ai le bonheur immense d’être libraire à Rimouski et de travailler comme assistante à la rédaction du cahier Champ libre du Journal le Mouton Noir. Deux postes qui me permettent de provoquer des rencontres entre les gens, les arts et la littérature en région. Il y a des créatrices et des créateurs fantastiques dans l’Est-du-Québec. Les côtoyer, pour moi, c’est toute une chance.
Sinon, j’ai chez moi toutes sortes de collections dont je prends soin. Des vierges de plâtres, des images, des boîtes de métal où j’éparpille des secrets qui n’en sont pas. Surtout des images. Je suis très occupée.
J’adore l’art d’Ito Laïla le François, de Judith Bellavance, de Caroline Boileau, de Virginie Jourdain. Chez elles, l’hybridation des corps, l’intime, le dedans. Le féminisme. Je m’émerveille devant l’audace et le courage de certaines images. Puis, le théâtre, la scène. J’admire profondément le travail sur la présence de Pol Pelletier, sa révolte. La découverte de son œuvre m’a profondément bousculée.
J’ai l’ennui facile, mais plus j’avance, plus j’aime tomber dans la lune et y rester. J’aime me baigner, mais je ne sais pas nager, j’aime prendre des bains. J’aime la course à pied. Être dehors et renifler les odeurs. Déambuler. Rouler en voiture longtemps et découvrir le paysage. Jouer au mini-putt. Enfant, j’étais folle du film Corinna, Corinna parce que Corinna et Molly rêvaient d’essayer les 53 sortes de crème glacée molle.
Je voudrais aussi essayer les 53 sortes.
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