Pourquoi penses-tu que Poètes de brousse a voulu rééditer ces deux textes ensemble?
D’abord, il y a certains liens de parenté formels et thématiques dans les deux textes, comme on le voit grâce aux deux titres. Ils ont été publiés dans un très court laps de temps, il y a eu à peu près un an entre les deux, donc c’étaient des textes écrits d’un même élan, des textes dont la forme et le propos étaient vraiment liés. C’est sûr aussi que ça fait quelques années que les livres n’étaient plus disponibles, et sur un plan plus pratique, ce sont des livres pas très volumineux, donc les rééditer ensemble, ça faisait un objet plus intéressant, plutôt que les rééditer séparément.
On voit vraiment que ces deux recueils jettent les bases pour la suite de ton écriture, autant sur le plan thématique que stylistique. Est-ce que tu avais conscience à l’époque que tu jetais les bases de quelque chose que tu allais continuer à développer pour la prochaine décennie?
Conscience, non. C’est difficile de se projeter trop loin dans une pratique d’écriture, en tout cas pour ma part. J’avais peut-être le sentiment qu’il y avait là quelque chose à laquelle je serais fidèle, un élan, la forme de mon âme. Mais j’avais pas conscience de grand-chose ; ce sont des livres écrits très rapidement. Il y a eu beaucoup de travail avant de les écrire, mais une fois que l’écriture de ces livres-là précisément a commencé, ce sont des livres qui ont été écrits de façon très fulgurante. Je dirais que le premier, Les oiseaux parlent au passé, je l’ai écrit en une quinzaine de jours. Je n’avais pas cette prétention ou cette réflexion de penser que je posais les bases de ce qui était à venir alors que j’écrivais ces textes-là, ça, c’est sûr.
Est-ce que tu écris toujours comme ça, très vite?
Chaque livre a sa propre vitesse. Avant d’écrire les textes spécifiques qui deviendront des livres, je peux écrire longtemps et lentement des textes qui ne paraîtront jamais. Pour 50 poèmes qui paraissent, je peux en écrire 400. Mais d’un projet à l’autre, ça s’est passé à des vitesses très différentes. Pleurer ne sauvera pas les étoiles, par exemple, ça a été un livre que j’ai mis du temps à écrire dans son tout, mais certains chapitres du livre se sont faits très rapidement. Mes ancêtres reviendront de la guerre a été très long à faire. Constellation des grands brûlés, ça a aussi été très long et très rigoureux comme processus, j’écrivais à tous les jours des textes destinés au livre, et ça a été plutôt laborieux. Et là, je viens d’écrire un livre destiné à paraître plus tard, une méchante brique qui s’intitule pour l’instant Autoportraits d’un porté disparu, et ça je l’ai écrit de manière très fulgurante, mais sur une certaine période de temps, de telle manière que c’est un livre de près de 200 pages que j’ai écrit quand même rapidement, en trois mois.
Est-ce que ça te faisait bizarre de retourner à ces deux premiers recueils, est-ce que tu avais un regard différent sur eux, sur ces livres qu’on pourrait appeler des textes « de jeunesse »?
On pourrait absolument appeler ça des textes de jeunesse, oui. C’est sûr qu’aujourd’hui, les gens publient de plus en plus jeune, les éditeurs font de plus en plus confiance à des voix très jeunes, et c’est très bien, mais quand j’ai commencé à publier, il y a une dizaine d’années de ça, c’était plus rare, alors 23 ans, c’était considéré jeune pour publier un premier recueil.
Ça faisait très longtemps que je n’avais pas lu ces livres-là en fait, parce que je ne relis pas mes livres une fois qu’ils sont publiés. Je ne les renie pas, mais je ne les célèbre pas. On pourrait dire que pour ce livre-là, ce sont des éditions revues et corrigées, donc effectivement, j’avais un regard différent sur ces textes-là qui m’a donné le goût de changer certaines choses avant de les réimprimer. Particulièrement, dans Panique chez les parlants, il y a quelques modifications ici et là, je veux pas trop en dire, mais il y avait certains passages qui méritaient d’être revus parce qu’ils étaient presque illisibles.
C’est sûr qu’avec le recul, il y a des passages avec lesquels je suis plus ou moins en accord maintenant. J’étais non seulement à une autre étape de mon processus d’écriture quand j’ai écrit ces livres, mais aussi à une autre étape de ma vie. C’est une époque où je consommais beaucoup, et maintenant je suis sobre, donc évidemment que j’ai un autre rapport à certaines choses qui sont dans ces livres-là, et à la manière générale d’être au monde qui est représentée par les images dans les textes. Donc oui, j’ai un regard différent dessus, c’est sûr.
Dans cette réédition, il y a une préface de Louise Dupré qui offre une brillante analyse de tes textes. Qu’est-ce que ça t’a fait de voir cette lecture de ton œuvre faite par une si brillante écrivaine?
D’abord, je dois dire que c’est un honneur d’avoir pu compter sur Louise Dupré pour préfacer les deux livres. Ce que peut-être certains ne savent pas, c’est que Louise Dupré et moi sommes bons amis. Nous avons souvent fait des lectures ensemble. Il y a des affinités entre elle et moi qui nous mènent à avoir, je pense, une vraie affection l’un pour l’autre, comme écrivains, oui, mais comme humains surtout. C’est sûr que c’est un honneur aussi parce que c’est une grande autrice, une poète que je respecte et admire beaucoup, et je suis sûre que c’était une professeure de création littéraire que j’aurais adoré avoir quand elle enseignait à l’UQAM. J’ai trouvé sa préface tout à son image, c’est-à-dire intelligente, généreuse, simple et belle. Je dis ça plus ou moins à la blague : ça vaut la peine de se procurer le livre au moins pour la préface de Louise Dupré. Il faut s’intéresser au regard singulier que Louise Dupré peut porter sur la littérature.
Même si ce sont tes deux premiers recueils, ton écriture est déjà très maîtrisée, ta poésie a une voix propre, cohérente, forte, distincte. Comment es-tu arrivé à quelque chose d’aussi maîtrisé si vite? Est-ce que ça faisait longtemps que tu écrivais?
Ce sont mes premiers recueils publiés, mais, mes éditeurs pourront le confirmer, je leur avais envoyé avant plusieurs recueils, au moins cinq ou six, qui avaient été refusés. Mais les refus m’étaient retournés avec des lettres manuscrites de Kim Doré me disant qu’ils étaient intéressés par mon travail, ce qui m’a encouragé à persévérer. Aussi, quand j’étais plus jeune, à Rimouski, je brochais moi-même mes propres recueils et je les vendais, ou je les échangeais contre des bières au bar. Donc quand je suis arrivé à Les oiseaux parlent au passé, j’avais écrit plein d’autres livres, tous plus étranges et peut-être plus mauvais les uns que les autres, mais je me consacrais déjà beaucoup à l’exercice de la poésie. C’est pour cette raison-là qu’il y a peut-être une illusion d’une certaine maîtrise dans le style, mais c’est vraiment une illusion, parce qu’en fait c’est plutôt une recherche d’une manière de dire qui serait aussi une manière d’être et qui n’est pas du tout résolue dans ces livres-là.
Qu’est-ce qui t’a amené vers la poésie à cette époque?
Je suis arrivé à la poésie par un chemin peut-être commun ; au secondaire, j’écrivais des chansons. Arrivé au Cégep, je n’avais pas une grande connaissance de la poésie, je savais pas qu’il existait une poésie québécoise contemporaine, dans ma perception c’était encore quelque chose de très ancien, de classique, de français. Malgré tout, avant même de connaître les surréalistes, moi et quelques amis, le soir, à Rimouski, on s’amusait à faire des soirées d’écriture automatique en fumant des joints ou en faisant des champignons magiques, et de jour en jour, de semaine en semaine, j’en suis arrivé avec des cahiers remplis de poèmes. Et ça, c’était avant même d’entendre parler de Gaston Miron ou de Mallarmé. J’ai découvert peut-être seulement deux ou trois ans après qu’il existait des poètes québécois contemporains, c’est un de mes amis un peu plus vieux qui, quand je suis entré au bac à l’université de Rimouski, m’a fait découvrir entre autres les éditions Poètes de brousse, qui venaient juste de commencer, et d’autres poètes qui commençaient à cette époque, en 2005 ou 2006, comme Danny Plourde.
Quels auteurs, à cette époque, ont alimenté ton désir d’écriture?
Au moment d’écrire ces deux livres-là, je commençais à avoir un grand appétit pour lire et découvrir ce qui se faisait en poésie, surtout en poésie québécoise. À ce moment-là, les auteurs qui m’ont donné une permission d’écriture ou qui ont alimenté mon désir d’écrire et d’avancer là-dedans étaient Roland Giguère, Denis Vanier, Rimbaud, Paul-Marie Lapointe, Patrice Desbiens, Josée Yvon. Autrement dit, la base, quand même, de ce qu’il faut lire.
Et aussi, je dois l’avouer, avant même de rencontrer mes éditeurs, Kim Doré et Jean-François Poupart, c’était déjà des poètes dont j’admirais beaucoup le travail. J’avais donc vraiment envie de travailler avec eux pour mes propres livres.
As-tu des rituels d’écriture, et ont-ils changé avec le temps?
C’est une discipline à plusieurs temps, c’est-à-dire que quand je suis vraiment dans l’écriture, et j’insiste sur le dans, quand l’écriture est l’espace dans lequel je me meus, l’air que je respire, j’écris à tous les jours parce que je ne peux pas faire autrement. Par contre, quand je suis en dehors de ça, j’écris pas à tous les jours, j’écris seulement parfois, pour me rappeler que ça existe dans ma vie, l’écriture. Et pour me convaincre, sans jamais réussir, que je suis écrivain. Mais je le redeviens, auteur, sans que je le décide, bien malgré moi, quand je me retrouve enfermé dans l’écriture à nouveau.
Quand j’ai un projet, je m’engage dedans sans réserve. Je serais incapable d’en avoir deux en même temps. Même dans ma pratique d’enseignement, je ne suis pas encore capable de mélanger les deux en même temps, c’est-à-dire que je me consacre à 100% dans l’écriture d’une œuvre, et ensuite je me donne à 100% dans l’enseignement de la création littéraire. J’ai de la difficulté à conduire deux bolides à la fois, parce que je me donne vraiment entièrement à ce dans quoi je m’embarque.
Quels sont tes coups de cœur littéraires récents, des auteur.e.s ou des livres que tu voudrais nous faire découvrir?
Je ferais un petit détour pour répondre à cette question-là : dans les cours de création littéraire que je donne à l’UDEM, je propose toujours un corpus littéraire extrêmement contemporain à lire, pour ouvrir les horizons des jeunes lecteurs et pour décloisonner la littérature de ses formes classiques. Je leur donne à lire des coups de cœur, évidemment. Ce trimestre-ci, mes étudiants auront la chance, parce que j’espère que c’est une chance, de lire le premier livre de Salomé Assor, Un (2019, Poètes de brousse), un texte exceptionnel dans sa force. Dans un tout autre registre, ils pourront lire un autre livre paru en 2019, de Frédéric Dumont, intitulé Je suis célèbre dans le noir (2019, L’Écrou). Et enfin, ils liront un autre livre tout aussi étrange et remarquable paru en 2015, Au monde : inventaire d’Antoine Dumas (2015, Éditions du Passage). Donc voilà trois livres de jeunes auteurs, âgés entre 20 et 35 ans, qui sont très récents et qu’il me tenait à cœur de donner à lire à mes jeunes étudiants qui commencent leurs études à l’université.
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