1. Qu’est-ce qui t’as poussé vers ce retour à la poésie ?
La poésie ne m’a jamais abandonné : même si je lui ai consacrée un peu moins de temps et de cœur cette dernière décennie (mon dernier recueil, Cellule esperanza, date de 2009), je ne cesse de l’enseigner. J’ai aussi continué à voyager grâce à la poésie, notamment aux États-Unis et en Chine. Après deux enfants, beaucoup de voyages, après deux romans, plus exigeants quant à la recherche et à la préparation en périphérie du sujet à l’étude (le milieu des bars et de la corruption pour Joseph Morneau et le milieu des intervenants auprès des sans-abri pour Le peuple du décor), après un investissement intense dans un doctorat, inachevé (ne me restait plus qu’à déposer et soutenir), j’ai toujours eu pas loin de moi une multitude de carnets qui m’ont permis de mettre sur papier ce que la prose ne me permettait pas, ou plus ou moins, d’exprimer. Je pourrais admettre tout simplement que, ce retour à la poésie, c’est un retour nécessaire aux sources.
2. Pourquoi l’importance de la Corée dans le recueil ?
Les boucliers humains, sur le plan thématique, font quand même un peu écho à Calme aurore (l’être aimée venue d’ailleurs avec qui l’on refait le monde); sur le plan de la forme, par contre, on pourrait dire que cela fait davantage écho à Cellule esperanza (travail de la scansion, du rythme). Je suis parti de ce que j’ai déjà fait pour aller, je l’espère, un peu plus loin, plus près. En poésie, je n’écris pas de fiction, ce que j’écris, je le vis, je le saigne. Je suis marié à une Coréenne qui m’a donné deux magnifiques filles en santé. Ces deux-là sont bel et bien des Québécoises en devenir, mais elles seront aussi des Coréennes. La Corée, si je peux dire, est ma seconde patrie. Qui prend femme prend pays, dit-on. C’est vrai, dans mon cas. Et ça tombe plutôt bien car je trouve qu’il y a beaucoup d’analogies à faire entre nos deux peuples atrophiés. Que cela soit dans l’insatisfaction nationale, le sentiment d’injustice historique, dans les pressions culturelle, économique et linguistique imposées par les pays limitrophes… La Corée est une terre magnifique, pleine de montagnes, pleine de sentier à prendre, pleine d’histoires et de cultures méritant d’être contées malgré la dynamique géopolitique actuelle qui la condamne à la caricature mondiale du 38e parallèle. La Corée du Sud et le Québec, pour moi, malgré ce qu’on peut en dire, toute proportion gardée, c’est du pareil au même. Nous survivons grâce au soft power et faisons valoir l’humanité non pas par les armes, mais bien par la force de notre créativité.
Autrement, pourquoi la Corée? Et bien parce que, essentiellement, c’est là où j’ai écrit ce recueil que je traîne depuis plusieurs années. D’été en été, que cela soit dans un café ou sur la hanche d’une montagne, agrippé à une table de pique-nique, je me suis laissé inspirer par le décor. Je ne suis pas un touriste. Et à la question : faut-il absolument comprendre le hangeul pour jouir au maximum du recueil ? Je dirais : oui. Mais peu importe : il est possible, à mon avis, d’apprécier les caractères coréens, chinois ou même japonais sans devoir nécessairement les comprendre. Ce qui compte, d’un point de vue esthétique, c’est de voir qu’il y a là, dans ces moments, un regard possible venu d’ailleurs.
3. Qu’est-ce qui t’a inspiré le motif des ‘’petits ponts’’ qu’on retrouve à travers tout le recueil ?
Cette dernière décennie, durant mes étés, quand je n’étais pas en Asie, j’étais pas mal en Gaspésie. Cinq ou six fois je suis parti de Montréal en Communauto comme un vrai Plateausard pour faire le tour de la péninsule en écoutant dans le tapis du Galaxie. Chez mon chum Stéphane, un gars de Saint-Jean-sur-Richelieu qui a acheté une maison historique à l’Anse à Beau-fils, on a fait du voilier en masse, on a bu de la Pit jusqu’à en avoir mal au foie. J’ai traversé à pied le parc de la Gaspésie. Je me suis lancé dans le Québec, je suis sorti de Montréal, je suis allé à la rencontre des Québécoises, des Québécois. Et je les ai trouvés belles et beaux. De Charlevoix au Saguenay, du Bas-du-Fleuve en Gaspésie. Dans le bois de mon chum, je plantais ma tente loin dans son bois, à côté du ruisseau. Été après été, j’ai construit un pont pour traverser le petit cours d’eau. Mais d’hiver en hiver, la débâcle le détruisait. À la manière d’un fardeau de Sisyphe, j’ai reconstruit le pont en sachant bien qu’il se ferait démolir la saison suivante. Le petit pont est, du coup, une allégorie de l’effort, mais pas un effort chiant qu’on porte avec amertume, plutôt un effort fortuit qui nous donne le goût de vivre encore, de continuer. Reconstruire inlassablement ce pont m’a permis de réaliser l’impact probable que j’aurai sur la planète, autrement dit, pas grand-chose. Et puis le pont, c’est ce qui nous permet d’aller vers les autres, et Les boucliers humains, c’est exactement cela, un mouvement de soi vers l’autre.
4. Le.s auteur.e.s et/ou artiste t’inspirent le plus.
Pour ce recueil, je me suis inspiré, lors de mes longues randonnées, de mes lectures des mémoires du maître Confucius mises en contradiction ou en filiation avec le Bardo Thödol. J’ai beaucoup été inspiré, comme toujours, du beat instrumental déjanté de Velvet Underground et du trip indien de Corner Shop. Mon travail au doctorat sur l’épistémè de la colère m’a également fourni une base théorique diversifiée pour approfondir ma réflexion quant aux alternatives aux sentiments mortifères. Han Kang, une grande poète coréenne, Anne Hébert, une écrivaine sans commune mesure au Québec, voilà le palmarès de mes inspirations. Autrement, je dirais Lautréamont pour la faune et la flore marine, Alain Grandbois pour l’exotisme, Alfred Desrochers pour les montagnes, Paul-Marie Lapointe pour la forme, Miron pour l’harmonica. Mais surtout, tous mes amis qui maîtrisent l’art des chansons à répondre.
5. As-tu un processus d’écriture particulier ?
J’écris dans des carnets, sur des mouchoirs, j’écris partout, pour vrai. Il y a beaucoup, mais beaucoup à détruire. Ce que j’aime de l’écriture, c’est de chercher les perles rares, enfin, ce que j’estime pertinent, et cela me met dans la peau des archéologues.
Écrire un livre, pour moi, ça se fait en trois étapes. 1 : Défricher en écrivant tout ce qui me passe par la tête. 2. Concevoir une structure, une logique narrative, dans laquelle je poursuis l’aventure. 3. Me relire, me relire et me relire jusqu’à avoir envie de vomir.
Entretien réalisé par Myriam Vincent.
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